« Paris Galaxies Action Shooting Lab », protocole photographique, Street Photography Dpt, Paris College of Art, automne 2015.
En parallèle des recherches sur le design de la future plateforme collaborative de Paris Galaxies, notre poursuivons une recherche sur les images du Grand Paris, et les conditions de métamorphose des représentations mentales et imaginaires de la métropole (voir page « Parties-Prises »). Cette composante image peut être introduite dans les modalités collaboratives de la future plateforme Paris Galaxies, aussi bien dans ses contenus que son protocole de contribution.
Pour cette nouvelle étape de recherche, nous nous sommes inspirés des recherches et pratiques photographiques de Raphaële Bidault-Waddington et son laboratoire d’image la Petite Industrie de l’Image Sensorielle (piims.fr), dont, pour mémoire, l’installation « Bulle Poético-Spéculative » avait déjà instillé le concept fondateur de constellation urbaine, au cœur du projet Paris Galaxies (voir article PJIM).
PIIMS produit des installations, des collages, des compositions et histoires d’image, exposées ou publiées, à partir de centaines de photographies urbaines prises dans des villes du monde (urban sampling) sans que celles-ci soient reconnaissables. L’enjeu artistique de PIIMS, très indépendant du Grand Paris, n’est pas de documenter une ville en particulier mais plutôt de créer des « architectures d’images » puis de les mettre en récit, à la fois théorique, poétique et fictionnel. Ces « images sensorielle » sont là pour donner à sentir des strates plus abstraites et spéculatives de la ville, la complexité et diversité de ses paysages intangibles, ses figures, ses récits, ses ambiances, comme sa « data-sphère ». Et au-delà de la ville, PIIMS cherche à créer des représentations de la sphère de l’information qui bouleverse le monde contemporain.
Néanmoins, et pour en revenir aux fondements de PIIMS, la pratique de la déambulation urbaine et du « sampling » photographique reste un moyen privilégié de construire une attention à la ville, un regard sur la sphère urbaine, et même une relation rapprochée voire intime à la ville. Prendre des photos dans la ville oblige à une attention augmentée, à un investissement subjectif et créatif en regard du contexte, que la simple balade urbaine n’engage pas forcément. Prendre une photographie urbaine, c’est déjà ouvrir un espace de projection et de recréation de la ville.
C’est dans cette séquence que la représentation mentale et imaginaire devient plastique et peut se métamorphoser.
Voler ainsi à la ville des fragments de sa matière visuelle est aussi un geste d’appropriation de l’espace urbain ; c’est un moment de face-à-face dynamique et de dialogue vivant avec elle.
D’autre part, le smartphone omniprésent dans nos vies et dont le double objectif permet de se prendre en photo du bout du bras, a métamorphosé la manière de prendre des photographies et l’art photographique, en instaurant une relation non pas simplement instrumentale mais bien subjective à l’appareil. L’outil est devenu une présence, un compagnon de notre quotidien, par lequel nous nous forgeons une idée de nous même et du monde, et définissons de plus en plus notre personne, notre existence (ceci faisant l’objet de nombreuses études rassemblées sous le nom de digital humanities). Cette dimension nouvelle incite à ré-envisager la pratique de la photographie urbaine, sous un angle non pas simplement pictural mais performatif (action shooting) où le(s) photographe(s), son/leurs appareil(s), et la ville deviennent les protagonistes d’une pièce, d’une séquence live, d’une composition qu’il reste à interpréter (dans tous les sens du terme).
Que pourrait nous dire du Grand Paris un laboratoire de Action Shooting ? Comment de telles séquences peuvent-elles ouvrir des espaces de métamorphose de l’imaginaire urbain individuel et collectif, que ce soit par l’attention augmentée, l’attitude de recherche multidimensionnelle, et le processus de recréation que l’expérience photographique et performative engage ?
Un premier workshop de Action Shooting expérimental a été réalisé avec un groupe d’étudiants de Street Photographie du Paris College of Art en Novembre 2015. Le site choisi était l’esplanade de la Préfecture de Bobigny, un haut lieu de l’architecture moderniste des années 60, qui a façonné d’énormes tronçons du Grand Paris. Conçu par l’architecte Michel Folliasson (dont on retrouvera d’autres bâtiments à Cergy ou à La Défense), cette esplanade symbolique, cernée de trois immeubles de bureaux et d’équipements, se présente comme un véritable petit théâtre urbain dont le sol poursuit même la géométrie. Ce jeu de carreaux et de lignes, au caractère certes un brin désolé mais résolument photogénique, semble un site idéal d’expérimentation.
Après une brève initiation aux enjeux du Grand Paris, les étudiants (tous étrangers) du Paris College of Art étaient invités à mener une série d’expérience de performance photographique à Bobigny, dont les résultats étaient ensuite discutés en classe deux semaines plus tard :
- Repérage : premier shooting en solitaire dans le périmètre de l’esplanade pour identifier des focus, des cadrages possibles, se faire une première impression du site, se mettre dans une attention augmentée à la ville, se situer corporellement, intellectuellement et artistiquement par rapport à ce contexte urbain.
- Introduction au performatif et protocole du face-à-face : Par groupe de 2, les étudiants se mettent en scène dans l’espace public en train de photographier, que ce soit eux-mêmes, leur complice, ou ensemble, le but étant de commencer à penser avec son corps et d’introduire la caméra comme un protagoniste de la séquence créative. Les images résultantes de ces saynètes seront propices à la mise en récit du sujet comme de la ville.
Cet exemple de composition amorce une mise en récit qui pourrait être « L’ombre et son double, à la recherche de soi au porte de l’accueil du territoire Grand Parisien ».
- Stroboscope : La chorégraphie du stroboscope consiste à laisser l’appareil et le corps s’affranchir du cerveau, de la commande dirigée et du cadrage, pour passer en mode radicalement décadré, ultra-rapide, où le bras flash la ville par intermittence rapide. Les résultats particulièrement ivres, montre la ville à l’état liquide, en métamorphose onirique pour devenir fulgurante et évanescente. Ces images que l’on pourrait appeler des « dirty digital pix », ne manquent pas d’évoquer l’esprit passager, brouillon et brouillé de l’ère digitale où tout semble se fait d’un jet, dans un instant pop-up. Ce Grand Paris en mode « flash » fait divaguer les clichés de la banlieue pour énoncer et donner à sentir une psycho-géographie d’un nouveau genre, tout à la fois urbaine et digitale.
- Hunting Shooting : Mise en scène de tout le groupe, accompagnée par des prescriptions individuelles inconnues des autres et en utilisant l’espace publique comme une vaste scène de théâtre ou lieu de tournage d’un film qu’il reste à imaginer. Les images produites donnent une impression d’un « making of ».